Hippolyte Boulenger
(Tournai 1837 - Bruxelles 1874)
Paysage de Tervueren
Huile sur toile
Monogramme en bas à droite : HB
1870
35 x 65 cm
Biographie
Pierre Emmanuel Hippolyte Boulenger nait le 8 octobre 1837 à Tournai. Orphelin et démuni, le jeune Hippolyte Bouenger travaille dès l’âge de seize ans chez Paul Colleye, un entrepreneur en travaux de décoration. Il est chargé de travaux qui relèvent de l'artisanat artistique ; il décore les murs, les plafonds ou les cheminées des salles à manger ou des salons bourgeois. L'avantage de ce travail est qu'il permet au jeune Boulenger de se familiariser avec l'utilisation de la peinture et d'autres matériaux, ainsi qu’avec le maniement du pinceau et de la palette. Sous les conseils de son patron, Hippolyte Boulenger s’inscrit à l'Académie des Beaux-Arts de Bruxelles le 27 septembre 1854. Au cours de la première année, il étudie les principes du dessin sous la direction d’Henri de Coene qui est lui-même un élève de Jacques-Louis David. L’année suivante, il étudie la peinture d'après nature et la peinture d'esquisses auprès de François-Joseph Navez. Pour subsister, Boulenger accepte diverses petites tâches. Lemonnier résume cette période difficile de la manière suivante : « Il vit seul, il est pauvre, et c'est à peine s'il peut payer, outre son grabat, le pain sec et le lard ranci qui sont ses uniques festins. Heureusement il a la trempe qui convient aux déshérités. La nature lui a fait une âme solide dans l'armure d'une robuste charpente ; il ploie sans rompre aux détresses de la vie ; et son rire aiguisé qu'il a gardé jusqu'au bout, finement gravé au coin de sa moustache, est la herse contre laquelle se brise la mauvaise fortune. » Privé de tendresse, épuisé par la maladie, il se sent comme une marionnette aux mains d'un destin qu'il allait encore maudire à plusieurs reprises par la suite.
C'est vraisemblablement un concours de circonstances qui incite Boulenger à quitter sa mansarde du Sablon : un logement trop étroit et peu salubre, son désir de liberté, ses cours à l'Académie où il étudie le dessin d'après nature et la force inspiratrice de cette même nature. Il prend la direction de Waterloo et s'arrête dans une auberge chez un certain Labarre. Peu à peu, il opte pour la nature comme seule source d'inspiration. Boulenger a un profond respect pour les exemples français, tout particulièrement pour Millet dont il admire le travail. De sa chambre, il ne voit plus seulement les nuages, mais la nature entière, l'horizon, la campagne, l'orée de la forêt. Tous les jours, il emmène son carnet de croquis et sa boîte à couleurs et part dessiner ou peindre dans la plaine, dans la forêt, dans une prairie ou sur un chemin. Pour la première fois depuis des années, il se sent bien. Cette période est considérée comme une authentique initiation à la nature par la nature. Il dessine et redessine opiniâtrement chaque détail : les troncs couverts de mousses, le chevreuil qui apparaît subitement, une vache qui rumine, une paysanne qui passe, une perspective pittoresque. Après avoir sillonné toute la région située au sud de Bruxelles, jusque dans ses moindres recoins, il quitte l'auberge de Labarre pour se rendre à Ruisbroek. Là, il séjourne à l'auberge du Roi d'Espagne, un endroit fort prisé des paysagistes. Il s'arrête encore à d'autres endroits, toujours à la recherche de nouvelles impressions fugitives que la nature, en constante transformation, laisse sur sa rétine. Il était particulièrement attentif aux nuages, tantôt lumineux et hauts en couleur, tantôt d'un gris monotone, mais toujours fascinants : « Chaque nuage est un être qui a son visage et son allure. Je veux m'en emparer, les pénétrer, les connaître, ne plus me contenter de ces poncifs qui engendrent l'odieuse banalité. »
Ces nombreuses pérégrinations ne contribuent malheureusement pas à remplir la bourse de Boulenger. Il mène une vie désordonnée pour un jeune homme qui n'a pas encore vingt-cinq ans et qui ne peut pas toujours résister à la tentation des ambiances festives des auberges où il loge. Un beau jour de 1863, sa vie de vagabond le mène à Auderghem. C'est là que travaille le peintre Camille Van Camp. Très vite, les deux hommes se découvrent de nombreuses affinités. Ils décident de faire route ensemble pour réaliser leur idéal : la reproduction aussi réaliste que possible de la nature sous tous ses aspects. Au-delà de leurs conceptions artistiques communes, une solide amitié se noue entre eux. Van Camp emmène son nouvel ami à Tervuren où la porte d'une nouvelle auberge s'ouvre à Boulenger : Au Renard. Tervuren devient son foyer. C'est ici qu'il va s'exprimer pleinement sur le plan artistique, dans un cadre, une nature qui l'inspirent et le poussent à se surpasser. Hippolyte Boulenger a, à cette époque, près de 27 ans. S'imprégnant de la nature sous toutes ses formes, Boulenger est profondément marqué par Tervuren et ses environs. A cette même époque, plusieurs peintres puisent leur inspiration dans les paysages de Tervuren et de ses environs : Joseph Coosemans, Jules Raeymaekers, Hippolyte Boulenger, Jules Montigny, et, plus tard, Alphonse Asselbergs. Ces artistes sont à l'origine de L'École de Tervuren. A leur sujet, Lemonnier écrit : « Le jour, chacun sa toile au dos, s'en allait, par monts et par vaux, le long des routes et des ravins, de ce joli coin de pays brabançon, en quête non plus du motif selon le catéchisme des chercheurs de sites pittoresques, mais simplement de l'impression, du charme des heures, des caprices de la lumière. A la nuit tombée, ensuite, quand les yeux du corps n'y voient plus et que s'ouvrent sur le rêve intérieur les yeux de l'esprit, tous se réunissaient autour d'une table de cabaret, dans la fumée des pipes, et, pendant de longues heures, divaguaient en des causeries extasiées sur les paysages qu'ils avaient rapportés en eux et qu'ils n'étaient jamais certains d'avoir fixés sur leurs toiles ». La véritable reconnaissance du travail d’Hippolyte Boulenger ne vient qu'au Salon triennal de Bruxelles en 1866. Il y envoie quatre tableaux : Marais à la Hulpe, Au bois du Roi, à Tervueren, Fin d'automne et Hiver. C'est à l'occasion de ce Salon que le peintre demande que le catalogue de l'exposition précise son appartenance à L'École de Tervuren. Le nom du groupe suscite de nombreuses controverses. Cet incident artistique a cependant pour effet que le nom soit adopté pour ne plus jamais disparaître. Un critique s'enthousiasme pour le débutant Boulenger. Camille Lemonnier écrit : « […] Voilà bien l'automne dans sa splendeur et sa furie. Les arbres échevelés et roux se hérissent à grandes touffes sur un ciel plein de vent et de nuées, et la mare, grasse et pourprée, clapote dans les broussailles et les roseaux. Tout cela dru, opulent, fauve, puissant, fougueux, d'une verve plantureuse et magistrale, en une gamme opulente et hardie. M. Boulanger a, dans toute sa force, le tempérament du paysagiste, et l'on sent en lui un artiste nourri aux leçons de la nature, hôte assidu des bois et des marais, plongé avec enthousiasme au vaste sein de la terre. » Dans les années 1860, peu nombreux sont ceux qui comprennent que, dans les tableaux d'Hippolyte Boulenger et des autres membres de l'École de Tervuren, ce n'est pas tant le motif d'un paysage mais plutôt l'atmosphère qui s'en dégage qui a de l'importance.
En janvier 1867, Hippolyte Boulenger traverse une période de maladie et de dépression. Plusieurs crises de nerfs, ainsi qu'une affection sévère du foie l'empêchent de travailler. Son élan est brisé et il en est complètement démoralisé. Il fait les frais de sa consommation excessive d'alcool. Il fuit ses amis et se réfugie dans la solitude. Pendant tout ce temps, il s'enferme dans une chambre à Bruxelles. Il a alors près de trente ans et souhaite donner une nouvelle direction à son existence. C'est ainsi qu'il arrive dans la commune de Schaerbeek. Il est surtout inspiré par la vallée de Josaphat, dont il réalise plusieurs études regorgeant de la lumière qu'il y redécouvre. Sur base de ces esquisses et études, il compose, l'année suivante, son grand tableau La vallée de Josaphat à Schaerbeek, une œuvre d'une fraîcheur éblouissante de coloris et d'une grande beauté calligraphique. Camille Van Camp persuade Boulenger de revenir à Tervuren. Il est convaincu que l'air et le calme de Tervuren lui feront infiniment plus de bien que l'atmosphère moite d'une chambre dans le centre de la ville. Boulenger accepte et recommence à peindre comme un forcené. Sa recherche personnelle d'un équilibre psychologique et physique se répercute sur ses conceptions picturales ; Boulenger oscille constamment entre un coup de pinceau net, paisible, presque traditionnel et une touche plus inégale, expressive et impulsive. Cela donne à ses œuvres une apparence tantôt réaliste, tantôt expressionniste.
Le 27 mai 1869, Hippolyte Boulenger se marie avec Florentine Léonie Du Pré. Cette union marque le début d’une période de bonheur serein. A l’amour d’une épouse aimante dans l’intimité d’un foyer que le peintre n’a jamais connu , s’ajoute la reconnaissance artistique. Au cours des quatre dernières années de sa vie, Boulenger se déplace à plusieurs reprises avec son épouse dans la vallée de la Meuse, à Anseremme et dans ses environs. C’est la période la plus fructueuse de la carrière du peintre. En 1871, un heureux événement s’annonce : Léonie est enceinte ! Malheureusement ce bonheur est de courte durée car l’enfant meurt à la naissance. C’est au cours de la période 1871-72 que Boulenger atteint sa maturité artistique : il n’a pas de leçons à recevoir de personne, ni en ce qui concerne les sujets à traiter, ni sur le plan de l’esthétique. Animé constamment par le désir de reproduire l’atmosphère de la nature telle qu’il la ressent, le peintre s’engage d’instinct dans une voie qui est encore unique au début des années septante, mais qui va mener, petit à petit, à un renouveau profond de la peinture. Ce renouveau porte maintenant les noms d’impressionnisme, de luminisme ou de pointillisme. La messe de Saint-Hubert appartient sans nul doute aux plus grands chefs-d’œuvre d’Hippolyte Boulenger. Il parvient à animer ce tableau d’une force poétique particulièrement intense. C’est en même temps un tableau d’où se dégage une quiétude qui témoigne de la sérénité du peintre. Le 4 juillet 1874, Hippolyte Boulenger s’éteint à l’âge de 36 ans à Bruxelles. Sa mort vient comme une délivrance, au terme d’une vie de privations, d’années de maladie et après une agonie de sept mois. Hippolyte Boulenger est un des représentants les plus doués de l’école de peinture de paysages de l’époque. Il est en même temps le chef de file incontesté du réalisme et la personnalité la plus marquante de la transition vers les courants artistiques ultérieurs, vers la peinture belge moderne.
Références bibliographiques
De Vilder, H., & Wynants, M., 2000. L’Ecole de Tervueren. De Vrienden van de School van Tervuren.