Robert Crommelynck
(Liège 1895 - 1968)
Suaire
Aquarelle et graphite sur papier
Signature en bas à droite : R. Crommelynck
Circa 1927
560 x 777 mm
Biographie
Peintre belge, Robert Crommelynck est né le 17 mars 1895 à Liège. Cadet d'une famille de quatre enfants, il passe son enfance dans la région de Liège et de Flémalle entre une mère sévère, aigrie par des années de sacrifices, et un père affectueux, ébéniste de profession et artiste peintre à ses heures. De 1909 à 1915, Crommelynck poursuit des études à l'Académie des Beaux-Arts de sa ville natale, où il reçoit l'enseignement du maître décorateur Émile Berchmans, du paysagiste Evariste Carpentier et surtout d'Adrien de Witte. Durant les hostilités et dans l'immédiat après-guerre, il exerce divers métiers et se mêle à plusieurs associations de jeunes artistes désireux de diffuser leurs œuvres (Le Cénacle des Hiboux, L'Envol, ...). Grâce à l'appui moral et financier d'amis, Crommelynck se manifeste et s'impose progressivement dans le milieu artistique liégeois. Il obtient plusieurs distinctions officielles dont les plus importantes sont le Prix Donnay en 1920, le Troisième Prix de Rome en 1925, le Prix Louise de Hem en 1930 et enfin le Prix de Consécration de la Province de Liège en 1947. Installé rue de l'Agneau dans l'ancien atelier de Jacques Ochs, il expose régulièrement à Liège, Bruxelles, Gand, Verviers et participe à de nombreux salons d'ensemble à l'étranger. Parallèlement, l'artiste effectue plusieurs voyages et découvre, outre les collections des grands musées, des régions qui seront de nouvelles sources d'inspiration. Il ne délaisse pas pour autant son pays, plus particulièrement la Fagne et l'Ardenne. En plus de ses propres expositions, il participe activement à l'élaboration du Salon d'Art wallon contemporain en 1931, organisé par l'association L'Art vivant au Pays de Liège dont il est le secrétaire général, et à la rétrospective Richard Heintz en 1933 prouvant ainsi son admiration pour le maître de Sy. De 1944 à 1960, Robert Crommelynck exerce les fonctions de professeur de cours supérieurs de peinture décorative et murale à l'Académie des Beaux-Arts de Liège, en remplacement d'Auguste Mambour. Enfin sa nomination au Cercle royal des Beaux-Arts en tant que vice-président et les deux importantes rétrospectives organisées en 1947 et 1963 sont encore d'autres consécrations qui témoignent de la réputation qu'il a acquise au fil des années.
L'œuvre de Robert Crommelynck a une grande variété iconographique et stylistique. A sa sortie de l'Académie, l'artiste se tourne vers une peinture décorative, en vogue à l'époque. Il réalise notamment plusieurs variations sur le thème du déjeuner sur l'herbe ou des pastorales. Mais la souffrance et la solitude nées de la guerre le détournent très rapidement de cette légèreté pour aller vers un art plus profond, plus senti. Pendant une dizaine d'années, ses personnages sont ceux de la Passion : Christ exsangue, Vierges douloureuses, Saintes Femmes éplorées, Saint Sébastien, … Ces toiles se caractérisent par une facture lisse, une gamme terne et assourdie, par une grande économie de moyens, une composition dépouillée et solidement équilibrée. L'origine de cette inspiration est complexe. Certains, dont son biographe Jules Bosmant, voient dans cette œuvre une influence indirecte de l'ascendance du peintre ; son grand-oncle maternel qui n'est autre que le Père Antoine, fondateur du culte antoiniste. Crommelynck se défend toutefois de tout sentiment religieux. Ces œuvres peuvent simplement être l'expression d'une profonde crise morale issue de la période d'accablement ressentie pendant la guerre. Crommelynck veut, selon ses propres termes, se consacrer à l'étude exclusive « d'une figure assez haute et assez pure pour concentrer en elle toute la beauté et la grandeur humaine ». Ses Christ, symboles de l'être incompris en qui se résument toutes les souffrances, sont encore le support d'une angoisse profonde et omniprésente : la peur de la mort. Cette production s'inscrit par ailleurs dans un climat plus général, celui d'un symbolisme teinté d'expressionnisme.
Parallèlement à ces compositions mystiques, Crommelynck élabore plusieurs portraits de parents, d'amis ou d'enfants. Guidées par une même recherche d'expression et d'authenticité, ces toiles témoignent de l'admiration du peintre pour Vélasquez. La découverte de la Bretagne en 1927 marque le début d'une carrière de paysagiste. L'âpreté de cette terre primitive déchirée par les vagues s'accorde parfaitement au tempérament de l'artiste. Les ébauches réalisées sur place témoignent d'une nervosité, d'une spontanéité nouvelle par rapport aux toiles antérieures réalisées en atelier. Plus décisive est la rencontre avec la Fagne et l'Ardenne dès 1928. Rude, austère et inhospitalière, la Fagne est vite délaissée pour une Ardenne populaire et généreuse, illustrée par des bals champêtres et des butins de chasse. Ce changement thématique s'accompagne d'un profond épanouissement pictural : la facture devient abondante, les couleurs éclatantes, les compositions fouillées. L'économie de moyens fait place à un lyrisme généreux. Le peintre se libère de la discipline d'austérité qu'il s'est imposé jusqu'alors. La production est interrompue en 1934 par un premier voyage en Espagne dont le peintre ramène des toiles éclaboussées de soleil, fixant les caractères typiques du pays et de ses habitants toujours fidèles à leurs anciennes coutumes. Les paysages de Sierra ne sont que prétextes à de savants jeux de lumière rafraîchissant les gammes colorées aux dominantes rose et ocre doré. L'exploration de la lumière reste la principale préoccupation de l'artiste lors des voyages effectués en Autriche et en Italie. Progressivement, il est amené à repenser le rôle de la couleur. Toutes ses recherches picturales convergent vers l'explosion des couleurs pures, franches, voire arbitraires, sans pour autant amoindrir l'équilibre de l'ensemble.
Quinze ans après son premier voyage, Crommelynck redécouvre la péninsule ibérique et lui consacre l'essentiel des vingt dernières années de son existence. Il délaisse pour un temps tout attrait pittoresque pour dépeindre une terre pauvre brûlée par le soleil. Sa sensibilité est de plus avivée par les souvenirs tragiques de la guerre civile, notamment par l'exécution arbitraire du poète Federico Garcia Lorca. Sa volonté de dépasser la traduction objective de la réalité pour atteindre à la signification profonde de ce peuple si intime ment lié à la terre l'oriente vers un expressionnisme original obtenu entre autre par un refus du détail superflu, une mise en page audacieuse et une gamme soutenue.
Au cours de sa carrière, Crommelynck réalise plusieurs grands travaux décoratifs. En 1938, il se voit confier la réalisation d'une fresque de plus de trente mètres de long à l’École Léonie de Waha à Liège. La composition, intitulée Le progrès de l'Humanité, aligne des personnages symboliques tels que la poésie et la science. Crommelynck s'adonne également à une autre technique particulière exigeant travail et persévérance : les panneaux de laque. En 1939, lors de l'exposition internationale de l'eau, il réalise Neptune et son char et Sainte Cécile, Orphée et Sapho, triptyque dédié à la musique. En 1943, la mythologie lui inspire encore Esculape réalisé pour la clinique Seeliger à Liège. Enfin un ensemble harmonieux de panneaux inspirés des quatre saisons orne depuis 1959 la salle des Régisseurs au Palais des Congrès de Liège. Ces différents travaux témoignent du goût de l'artiste pour les décors somptueux, les sujets mythologiques et les expériences techniques. En plus du dessin et de l'aquarelle, Crommelynck s'essaie avec habileté et sensibilité aux techniques de l'estampe : pointe-sèche, aquatinte, eau-forte ou encore monotype. Dans le domaine de l'illustration, sa participation la plus réussie est certainement l'ensemble de quatorze aquatintes réalisées pour le recueil de nouvelles de Jean Tousseul, Au bord de l'eau. Robert Crommelynck, personnage imposant, cultivé et volontaire, ne renie à aucun moment de son évolution l'importance de certains peintres sur ses conceptions artistiques : Vélasquez, Courbet, Rembrandt, Corinth, les peintres de la Renaissance italienne, ... Reconnaissant l'importance d'un Matisse, Seurat, Cézanne ou encore Picasso, mais convaincu que la peinture est le fruit du cœur plus que de l'esprit, Crommelynck n'acceptera jamais l'art abstrait, synonyme d'art superficiel selon lui, en contradiction avec sa définition : « La peinture la plus cérébrale ne s'anime qu'au feu d'un tempérament ». Le 7 mars 1968, Robert Crommelynck s’éteint à l’âge de 72 ans à Liège.
Références bibliographiques
Rémon, R., 1981. Robert Crommelynck. in : Nouvelle biographie nationale, Tome quarante-deuxième. Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique.