Michel Seuphor
(Anvers 1901 - Paris 1999)
Que ma joie demeure
Encre sur papier et carton, collage sur support cartonné gris
Signature au dos
1964
75 x 52,5 cm
Œuvres
Biographie
Il faut voir les hommes de loin, dit le sage, sur l’horizon ils se confondent avec le ciel ; mais moi qui suis encore naïf, je les aime de près : le ciel de leur regard me fascine.
Critique d’art et peintre belge naturalisé français, Michel Seuphor, pseudonyme de Fernand Berckelaers, nait le 10 mars 1901 à Anvers. Il est le fils de Caroline Mariën et d'Eugène Berckelaers. Son père meurt de la tuberculose quand il a 9 ans. Sa mère, d’origine liégeoise, manifeste un très grand intérêt pour la littérature française. Elle est avide d’art et de culture. Elle va à l’opéra, au théâtre, au concert. Sa bibliothèque est remplie de livres que le jeune Fernand va dévorer dès qu’il saura lire. Issu d’une famille de la bourgeoisie aisée d’origine paysanne, Fernand Berckelaers étudie en français au Collège Notre-Dame tenu par les Jésuites d’Anvers. En 1912, sa mère se remarie et donne naissance à deux petites filles Gabrielle et Madeleine. Fernand a toujours témoigné une grande tendresse pour ses jeunes sœurs. En 1914, la déclaration de guerre et l’invasion de la Belgique par l’armée allemande conduisent une partie de la population d’Anvers à se réfugier en Hollande. Fernand séjourne à Tilburg avec son grand-père jusqu’à la fin de l’année. En 1917, la découverte de Guido Gezelle, qu’il considère comme sa première émotion poétique réelle, marque un temps fort dans sa scolarité. Il doit cette rencontre au Père de Clipele, un jeune jésuite qui enseigne le néerlandais au Collège Notre-Dame. « Gezelle ne m’a plus quitté. Il aura été le compagnon, à la fois pacifique et exaltant, de ma longue vie. » En 1918, Fernand Berckelaers collabore à une publication clandestine, réalisée par d’anciens élèves du collège. Il adopte alors pour la première fois le pseudonyme de Seuphor : anagramme d’Orpheus et emprunté au titre de l’ouvrage de l’archéologue Salomon Reinach : Orpheus, Histoire générale des religions. En décembre, il met fin à ses études. Suite à l’armistice, il s’engage activement dans le mouvement flamingant. Durant l’Occupation, il s’était abstenu de montrer publiquement ses convictions par refus d’être associé aux activistes qui profitaient de la protection de l’armée allemande pour porter leurs revendications. En janvier 1919, parait le premier numéro de sa revue militante De Klauwaert. Fernand Berckelaers édite ensuite Roeland en collaboration avec Jules van Beeck et y publie ses premiers poèmes. Le 11 juillet 1920, il participe à la manifestation organisée en commémoration de la bataille des Éperons d’Or de 1302. Son ami Herman van den Reeck est tué sous ses yeux par un policier. Il est lui-même blessé par un coup de sabre à la tête.
L’intérêt de Fernand Berckelaers s’étend très vite au-delà de la Flandre. Alors qu’il enchaîne, sans grand enthousiasme, diverses carrières professionnelles, il lit avidement et partage avec ses amis ses découvertes d’auteurs tels que Walt Whitman, Nietzsche, Multatuli, Pascal, Romain Rolland, etc. Il découvre également les philosophies orientales. C’est un choc, une ouverture salutaire et mémorable. « Les études gréco-latines, c’était l’Occident uniquement et, soudain, je compris que le monde a deux parties et qu’il est rond ». Ces lectures variées insufflent en lui ce qu’il appellera « les bases définitives de son être moral », lui permettant de se situer dans une quête de l’universel qu’il poursuivra toute sa vie. En 1921, Fernand publie des poèmes dans plusieurs périodiques et obtient un diplôme de bibliothécaire. Il décide de vendre tous ses livres pour se lancer avec son ami Geert Pijnenburg dans la création et l’édition d’une nouvelle revue : Het Overzicht, consacrée aux arts, aux lettres et à l’humanité, en collaboration. La revue s’engage dans la promotion de l’art abstrait et deviendra l’une des revues d’avant-garde européennes les plus importantes. En avril 1923, dans le but de rencontrer Piet Mondrian, Fernand Berckelaers effectue son premier voyage à Paris. De sa première visite à l’atelier de Mondrian, il écrira : « Quand je sortis de là, j’avais l’impression d’avoir rencontré, pour la première fois de ma vie, le parfait équilibre humain. La haute idée que j’avais conçue de l’homme et mon admiration pour l’œuvre firent place à quelque chose de différent, une attirance, un sentiment intime, ce que, généralement, on appelle amitié. » Lors de ses séjours à Paris, il fait la connaissance du milieu artistique et littéraire de l’avant-garde internationale : des cubistes aux dadaïstes, des futuristes aux constructivistes, ainsi que des membres du mouvement De Stijl. Il y rencontre entre autres Robert Delaunay, Fernand Léger, Paul Dermée, Amédée Ozenfant, Albert Gleizes, Constantin Brancusi, Pablo Picasso, Jacques Lipchitz. Dans ses contacts, il utilise de plus en plus le pseudonyme de Michel Seuphor. L’emploi du français et de la typographie sont toujours plus présents dans ses écrits. Sa poésie elle-même évolue ; elle accorde une plus grande importance aux mots, au rythme de la phrase et à la musicalité. Ses écrits les plus représentatifs montrent aussi l’importance grandissante pour la France. Le 15 janvier 1926, il se rend pour la première fois en Italie. Il visite Naples, découvre Pompéi et Paestum. A Rome, il écrit la pièce de théâtre anti-théâtre L’Éphémère est éternel, pour laquelle Mondrian compose une maquette des décors. Il rencontre Marinetti et tout le groupe des futuristes. De retour à Paris, Seuphor fait une rencontre majeure, celle de Hans Arp et de Sophie Taeuber qui, avec Mondrian, deviendront ses amis intimes. En 1927, il organise avec Paul Dermée onze soirées poétiques d’esprit nouveau à la galerie Le Sacre du Printemps. Ils présentent également le premier et unique numéro des Documents internationaux de l’Esprit Nouveau. La publication comprend des articles, des poèmes et des reproductions d’œuvres de Paul Dermée, Marcel Breuer, Tristan Tzara, Hans Arp, Marinetti, Céline Arnauld, Michel Seuphor, etc. Ces relations internationales nourrissent les aspirations de Seuphor à l’universalisme, l’éloignant définitivement du flamingantisme. L’été venu, ce dernier se rend en Espagne : Séville, Grenade, Madrid, Barcelone, Tolède. Il écrit les poèmes de Lecture élémentaires, et recueille les notes de son futur ouvrage sur El Greco.
En 1929, Seuphor séjourne en Belgique. Il rencontre Ensor, Permeke, de Smet et Minne. Il écrit le manuscrit Un renouveau de la peinture en Belgique flamande. La même année, il fonde avec le peintre Joaquín Torres García Cercle et Carré, un groupe de peintres, sculpteurs, architectes, poètes et musiciens de l’avant-garde internationale. Ce mouvement s’exprime par l’intermédiaire d’une revue du même nom. Le 18 avril 1930, l’exposition Cercle et carré s’ouvre à La Galerie, 23 rue de la Boétie à Paris avec la participation d’Hans Arp, Piet Mondrian, Wassily Kandinsky, Sophie Taeuber, Kurt Schwitters, Le Corbusier, Fernand Léger, Amédée Ozenfant, etc. En 1931, une grave pleurésie contraint Seuphor à se rendre à Grasse dans un établissement de repos pour y effectuer sa convalescence. En mai, il revient à Paris profondément changé. Au début de l’année 1934, il épouse Suzanne Plasse, rencontrée un an plus tôt. Le jour même du mariage, les jeunes mariés partent pour Nîmes. L’arrivée d’une future naissance oblige le couple à s’installer dans une maison plus grande à Anduze, dans le Midi. Il y développera son œuvre critique, poétique et littéraire. Le 23 février 1935, nait Clément, le premier fils des Seuphor. L’événement lui inspire le poème Sur la naissance d’un enfant mâle, une réflexion sur le sens de la vie. A peine quatre mois plus tard, le décès accidentel du petit Clément affecte beaucoup le couple. Le poème Naissance et mort d’un enfant sera publié quelques semaines plus tard. Seuphor continue à écrire de nombreux articles pour différentes revues et ce, tout au long de sa vie : Sept, L’Echo d’Anduze, L’Aube, La cité chrétienne, Cahiers du Journal de Poètes, L’Art Sacré, Temps présent, Cévennes, Art digest, etc. En 1936, nait leur deuxième fils, Régis. L’année suivante, Seuphor débute la rédaction du roman Évasions d’Olivier.
En 1939, il effectue des démarches pour s’engager comme volontaire dans l’armée française. Sa proposition n’est pas retenue. L’année suivante, sept cent jeunes réfugiés belges arrivent à Anduze. A la demande de la municipalité, Michel Seuphor joue le rôle de médiateur entre Flamands et Wallons qui s’affrontent parfois avec violence. Par la suite, il s’engage dans la résistance belge en France. Le 25 novembre 1944, Seuphor part pour Paris afin de trouver un éditeur de confiance. De la ville lumière, il écrit à son épouse le 14 décembre pour l’informer qu’il vient de trouver un accord avec les Éditions de Pavois pour un contrat de dix ans. Le texte prévoit que les livres antérieurs de l’auteurs soient réédités. En juin 1948, Michel et Suzanne décident de rentrer à Paris. Seuphor participe de façon active à la préparation de l’exposition Les premiers maîtres de l’art abstrait qui se tiendra à la Galerie Maeght. En 1950, il se rend en Hollande et à New-York pour préparer l’ouvrage qu’il souhaite consacrer à Piet Mondrian, décédé en 1944. A la suite de ses voyages, il publiera chez Flammarion en 1956 : Piet Mondrian, sa vie, son œuvre. Dans les années 1950, l’univers plastique de Seuphor prend une nouvelle orientation avec l’utilisation, déclinée à l’infini, de lignes horizontales plus ou moins resserrées dans des rythmes alternés d’ombre et de lumière. Cette évolution prend la forme des Dessins à lacunes à traits horizontaux. En janvier 1954, Hans Arp convainc Heinz Berggruen d’organiser une exposition des dessins de Seuphor. Arp écrit lui-même la préface du catalogue. Il avance la somme qui permet à Seuphor d’acheter l’appartement situé au 83 avenue Émile Zola où il habitera jusqu’à sa mort. La même année, l’artiste s’exerce à l’art du collage et réalise ses premiers dessins-collages. Outre la rédaction de nombreux articles et préfaces d’expositions, il prépare un Dictionnaire de la peinture abstraite. En 1955, des tapisseries pour la maison de la province d’Arnhem (Pays-Bas) sont réalisées à partir des dessins de Seuphor. Les dessins à lacunes s’expriment alors dans leur maturité et se déclinent désormais dans les univers géométriques les plus variés. Cette œuvre considérable de près de 5.000 pièces est dominée par l’utilisation exclusive du dessin à la plume et à l’encre de Chine sur papier, où sont parfois intégrés des éléments de papier collé, des mots ou des phrases poétiques. Dans le clair-obscur obtenu par le réseau de lignes horizontales parallèles plus ou moins serrées apparaissent des formes généralement abstraites en réserve et qui évoquent des réalités intérieures. Pour autant, il ne cesse d’écrire, voyager, exposer et donner des conférences. En 1964, des céramiques d’après des motifs de Michel Seuphor sont réalisées à la Manufacture nationale de Sèvres. À partir de 1970, Seuphor atteint une notoriété qui lui permet, enfin, de vivre de la vente de ses tableaux et même de publier ses écrits avec les éditeurs et l’imprimeur de son choix. Ses activités liées à la promotion de l’art se réduisent considérablement : il se donne entièrement à sa création et « ne vit plus que pour écrire et dessiner. » En 1974, il se rend à plusieurs reprises en Italie ; il assiste aux répétitions de L’éphémère est éternel, qui sera joué dans le cadre du festival de théâtre de Macerata. Cette année-là, il réalise près d’une centaine de dessins inspirés par le thème du Yi-King[1]. En mars 1986, les 64 dessins pour les hexagrammes des Yi-King sont exposés au Musée de Grenchen en Suisse.
De nombreuses rétrospectives reprenant l’œuvre plastique, poétique et littéraire de Seuphor sont organisées dans différents pays : Musée de Saint-Etienne, Marcel Peeters Centrum, Gemeentemuseum de La Haye, Musée National d’Art Moderne Georges Pompidou, Musée de la Boverie, Musée des Beaux-Arts de Nantes, Casino de Knokke, Ludwig Museum, etc. Comme critique, il laisse une bibliographie immense sur l’art abstrait qui illustre, par des dictionnaires, notices, articles, préfaces, les travaux de plusieurs générations d’artistes du 20e siècle. En janvier 1996, Suzanne s’éteint à l’hôpital Boucicaut à Paris. Très affecté par la mort de la femme qui a accompagné si vie depuis 1934, il s’absorbe dans ses dessins qu’il continue de réaliser, à main levée, avec une surprenante précision. A la fin du printemps 1998, il cesse progressivement de dessiner, puis d’écrire. Sa santé se détériore. Le 12 février 1999, Michel Seuphor s’éteint à l’âge de 97 ans à Paris. Ses cinq petits-enfants (Olivier, Sophie, Florence, Stéphanie et Julien) assistent à la cérémonie funéraire, en compagnie d’un cercle d’amis.
[1] Le Yi King ou Yi Jing est un manuel conjuguant philosophie et spiritualité. Il appartient à ce qu'on nomme les Cinq classiques chinois c'est-à-dire les 5 documents, textes et ouvrages qui ont constitué le début de la culture écrite de cette région de l'Asie. Ce traité est connu pour l’influence des oracles, il est une référence dans la prise de décisions. Consulté pour nous aiguiller, l’individu tire des « hexagrammes » ou symboles représentés par des traits yin et yang. Il est souvent utilisé pour parvenir à une meilleure connaissance de soi.
Références bibliographiques
Briolet, D., Germain, M., Sauwen, R., Seuphor, S. & Vercruysse, J., 2001. Michel Seuphor. Antwerpen : Middelheimmuseum, Hessenhuis, Stadsbibliotheek, Stad Antwerpen. [catalogue d’exposition]
Sauwen, R., Viatte, G., Seuphor, M., Henkels, H., 1977. Seuphor. Antwerpen : Mercatorfonds. [catalogue d’exposition]
Seuphor, s.d., www.seuphor.org, 13 février 2021.